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In
French Paru dans Lignes n° 20,
septembre, 1993: Yougoslavie: Penser dans la
crise Textes réunis par Rada Ivekovic
et Gérard Raulet, p. 87-96. |
AN-ALETHEIA OU
LA JOUISSANCE PHILOSOPHIQUE DE LA “D...SID...OLOGISATION” Le discours véridique
de la “philosophie nationale” et son effet heideggerien (1993) Au cours des
affrontements récents qu’a connus la scène philosophique croate,
où de nouveaux esprits nationaux authentiques ont condamné la pensée utopique des anciens
philosophes — des “idéologues”du grupe praxis— le champ thématique de la philosophie en
Croatie s’est trouvé brutalement abandonné. L’objet du différend — le
contenu, le caractère et la valeur des “nouveaux programmes”
philosophiques qui devaient représenter le renouvellement national et spirituel de la
nation à travers philosophie ainsi que de la philosophie même
— est passé au second plan pour laisser la place à un geste
symbolique : l’Association Philosophique Croate (HFD) s’est publiquement
excusée devant ses membres de n’avoir pas été suffisamment efficace sous l’ancien regime “anti-croate de
l’ex-Yougoslavie” (c’est‑à‑dire
avant les premières élections démocratiques en Croatie de 1990),
lorsque certains d’entre eux eurent à subir des dommages personnels ou professionnels. Il est prévu dans la
structure de toute association professionnelle au sein d’une société qu’elle
puisse exprimer sa solidarité avec un ou plusieurs de ses membres au
moment même où
ceux‑ci subissent des dommages personnels ou
professionnels. Si, cependant, cette association exprime sa solidarité après‑coup et de façon générale, comme s’il s’agissait d’une amnisde générale,
cette réaction après‑coup confère à son geste, au lieu
de la solidarité supposée, le statut d’une ,,réhabilitation” ou celui d’une performance
théâtrale à l’effet
contraire : l’acte de
solidarisation (ontologiquement impossible et politiquement impuissant)
devient à ce moment‑là un acte d’absolution (simulée); de
même que ses destinataires anonymes (singuliers) se transforment en une
masse uniforme d’elus sur laquelle plane un “esprit” fluide qui, du haut de
sa méta‑position, se comporte désormais comme le sujet
autoproclamé du discours absolvant. Cette mise au pilori
de l’idéologie “de gauche” ressemble dans ce cas au geste culturel du
représentant de la cominunauté ethnique archaïque, l’archiprètre
qui prononce le mantra, la
formule magique qui, par une purification symbolique de l’impur, opère
une liberation instantanée de la faute. Car seul un mantra, un énoncé performatif sacré, est en mesure de
faire 1’économie du temps dans l’ordre du monde et l’économie du sens dans
l’ordre du langage. Seul on énoncé performatif tel qu’un mantra peut prétendre assurer on accès direct
à la réalité, en transformant immédiatement le particulier et le
sectaire en général et en universel. C’est de cette façon seulement que l’on
pent instaurer instantanément on nouveau système de rapports, ainsi qu’un
nouveau mode de fonctionnement de la communauté que l’on fait passer d’un
coup de baguette magique d’un état à un autre. Et c’est bien sûr
un facteur temps, sciemment coupable, que revient le mérite du retour
à l’esprit de la nation à partir du corps idéologique de la
société. En adressant à
ses membres une excuse de nature politique, dans des conditions où la
solidarité et l’engagement ne sont temporellement plus possibles, donc dans
des conditions ontologiquement impossibles, l’association professionnelle,
par une substitution des codes de 1’énonciation, modifie à la fois le
contenu de son énoncé et son destinataire. Autrement dit, elle ne s’excuse
pas devant ses membres de cc qu’ils auraient éventuellement enduré en tant qu’individus, mais elle
s’excuse globalement de son
propre passé et, se mettant ainsi dans la position d’un discours pouvant
s’absoudre lui‑même, ne fait que “réhabiliter”, an sein
de l’ordre social, le lieu auquel un tel discours appardent, à savoir,
le lieu du pouvoir. En d’autres termes, l’association philosophique, en
adressant à ses membres one “excuse” politique concernant les
éventuels dommages subis sous I’ancien régime, réhabilite — face aux philosophes
en question et face à la philosophie comme telle — instance
mêmc du pouvoir politique qui, dans les conditions idéologiques
actuelles (“après les élections démocratiques”) ne porte plus les
stigmates de la négativité.
Le pouvoir politique et l’état ne sont pas nécessairement hostiles à
la philosophie, à plus forte raison si les philosophes y prennent
part. À nouveau les temps sont venus où les philosophes, cette
fois‑ci les croates, auront à l’apprendre et
à l’enseigner. Leur nouvelle histoire, ils la commencent par
d’archaïques cérémonies de “renouveau” (de nouveaux programmes, un
périodique sous un nouveau nom et one nouvelle couverture, de nouvelles
règles statutaires, une nouvelle rédaction). Pour qu’une telle
chose soit rendue possible grâce à la philosophic, en dépit de son
expérience séculaire du sens et de la valeur de telles attitudes, tant dans
l’histoire de la philosophie que dans celle de la culture et de la
civilisation, une condition est nécessaire — à savoir que de
tels agissements se donnent comme évidents, comme non‑problématiques et non limités par la contrainte
de l’auto‑réflexion. En d’autres termes cela suppose one
conversion radicale an sem rnàme de la philosophic telle que, par
exemple, l’intrusion do pouvoir politique en arbitre supràme de la
profession, comme c’est le cas dans la polémique en question. Le prix
immédiat de son renoncement a son autonomic que la philosophic doit payer est
son auto‑abolition, mais dans un sens opposé à
celui de Marx ‑ une abolition qui prend le sens d’une
substitution immédiate de l’acte de philosopher à l’exercice politique
de la vérité comme dé‑voilement. Ou encore: à la pratique de la
dénonciation de tous les restes philosophiques excédant l’ordre national
établi. Une telle pratique du
“dé‑voilement” dépasse l’aventurisme politique de
Heidegger lui‑même qui a été par la suite intégré dans
la philosophic non pas par ses propres moyens, mais par la croyance des
adeptes de ‑ la tiche de la pensée ‑ en la grandeur de son prophète. Qui plus
est, 1’exercice de la vérité dans la politique dépasse toutes les
possibilités jusqu’ à présent imaginables de l’affranchissement de la
philosophie de sa nature idéologique. En effet, les instaurateurs du philosopher croate semblent radieusement réprondre ce conflit interne
à la philosophic comme étant sa tâche la plus sacrée : si la
philosophic avec sa prétention innée à la ratio se trouve condamnée
à un règlement de comptes avec sa nature idéologique, elle
pourra résoudre se conflit à la condition que, par une totalisation
interne, elle se réalise pratiquement comme instrument anti-idéologique. Plus
exactement, l aphilosophia perennis, en trouvant refuge à present chez les
Croates, s’est d’abord approprié le geste du “dévoilement” afin de devenir le
véritable purificateur étatique de l’idéologie. Mais tandis que les
instaurateurs de cette nouvelle pensée se prennent pour les radieux
officiants de l’auto‑sacralisation de la philosophic au service de
l’...tat, la conséquence immediate de la purification de la philosophic
ressemble fort, pour cet ...tat, à cc mot d’esprit sur le cannibale
total : “dans notre village il n’y a plus de cannibale; hier, nous avons
mangé le dernier!” C’est là sans doute le charme nouveau de l’...tat
total et de la philosophic totale, mais aussi la vraie jouissance de ses
adeptes. Certes dans leur jouissance est contenue la plusvalue de
l’investissement dans la totalisation de l’...tat au moyen de la philosophie.
Aussi allons‑nous présenter le phénomàne de la
jouissance de L’...tat dans son élément philosophique, en tant qu’il est non
seulement éternel mais aussi productif. Il y a quelque temps,
dans la presse, cette proclamation de l’association professionelle des
philosophes croates a provoqué une nouvelle série de commentaires. Ce qui a
éveillé notre intéret c’est un symptomatique échange des rôles. Une figure de
victime du “Printemps croate” de 1971, largement exploité dans les médias,
intéressante en raison de ses diverses orientations et engagements politiques
— du nationalisme culturel et étatique jusqu’au libéralisme en passant
par le cléricalisme — prend la défense d’une autre figure de la
scène intellectuelle et politiquc croate issue de la gauche qui,
à 1’époque des souffrances politiques et personnelles de cette
première personne s’était prononcéc comme témoin de l’accusation, donc
du côté du régime communistc. Mais l’intrigue véritable de notre histoire se
noue lors de l’entrée en scène d’une troisième figure, tout
aussi médiatique, appartenant au cercle des “nouveaux philosophes croates”,
et qui entreprend de commenter publiquement cette “symbiose mystique du
bourreau et de la victime”. Par l’entrée en scène de cette
troisiàme figure se forme dans la polémique un “triangle
croate”obscène, composé d’une victime du passée, de l’eternel bourreau
et d’un voyeur qui, campant dans le present, est precisément en train de constiuer
le triangle en question où son intervention — par un court‑circuit sémantique et ontologique —
à la valeur d’une auto‑position absolue. Plus exactement, le
commentateur ne cherche pas a connaître les conditions qui font du bourreau
un bourreau et de la victime une victime; il n’analyse pas non plus leur
rapport actuel. Tout comme il n’interroge pas, ni principiellement ni
individuellement, le rôle du philosophe dans les processus d’un certain
régime (révolu, socialiste) agissant contre ses propres citoyens. An
contraire, il prend cyniquement toutes les catégories comme des éléments qui
composent un savoir de tout temps déjà constitué. Et son application
est brutale : la figure‑victime de l’ancien régime est présentée comme
une perversion de l’idéal de la mission historique, culturelle et politique,
croate, de sorte que le commentateur‑voyeur n’hésite pas à se référer à
son meurtre définitif. Ce qui permet de conclure que le mépris et le
dégoût qu’éprouve le voyeur pour cet exemplaire du “propre” (ici le
Croate) souillé par l’autre (l’étranger), ne fait que reproduire une fois de
plus la mystique rituelle par laquelle se manifeste l’esprit de la communauté
qui cherche à se prémunir contre l’intrusion de l’autre ou de
1’étranger. Dans le discours fermé du rituel, 1’étranger est projeté de
“l’autre côté “, et c’est pourquoi ce discours est toujours rudimentaire et
primitif, théâtralement sanglant, lié au sol et a l’”éthique” du terroir et
du sang. Dans l’univers hagio‑culturel néo‑croate,
le côté négatif, interdit, du monde, c’est “l’Est”, ce reste géopolitique du
passé‑dans‑le‑présent, l’image indésirable de sa propre
origine ethnique, et en partie historique et culturelle, qui est
historiquement refoulée par une insistance acharmie vers l’occidental et l’occidentalisation
a tout prix (tout comme, de l’autre côté, ou promeut l’orthodoxie orientale).
Cette image négativc joue comme le reste corporel du trauma symbolique au
sein de l’actuel organisme croate et le triangle en question représente la
clôture de la jouissance croate dans sa propre suffrance “historique” (le
“chemin de croix de la croitité”) — fermée sur ses trois côtés par ce
même “propre”: le bourrcau croate, la victime croate et le voyeur
croate. Cette clôture traduit cependant l’intrusion du réel clans l’univers
symbolique néo‑croate, qui ne devient supportable que sous la forme de la négation, de
1’euphémisme et de la métonymie: ,, l’Est à, ce mot qui seul permet de
nommer l’indicible et l’insupportable (que nous‑mêmes n’allons pas nommer ici !) apparaît
dans le commentaire comme le principe de la reconnaissance du mal dont la violence a pour contrepartie la souffrance de la victime et la jouissance
qu’elle en tire. Cela devient possible dans l’attitude singuliére du voyeur.
Ce qui, dans le regard de celui‑ci, rend pervers et digne de mépris le passé
historique croate lui‑même représenté par la victime du triangle intra‑national, avec son mélange de haine et
d’attirance, c’est son contact avec le côté interdit du monde à
travers la figure du bourreau en tant que médiateur. A travers elle, le commentateur‑voyeur
croate abhorre le peuple croate
en tant que victime, ses
liens avec le bourreau de la croatité qui est aussi une figure croate (l’intellectuel “de gauche” endossant depuis peu, au nom de l’universalité, le rôle de
negateur des droits naturels dans l’empirie politique — par exemple le
droit national croate à sa souveraineté an sein de la Yougoslavie et
le droit serbe à l’autonomie au sein de la Croatie) et ce, non
sculement dans le
présent, mais aussi dans le passé. Il y a donc là renoncement du
voyeur — porteur du discours héroique croate — au paradigme
traditionnel croate de — “martyr au nom de la civilisation chrétenne”
an profit de l’idée de la croatità vouée à l’occidentalisation.
Mais le moment déisif dans tout cela est l’insistance sur la figure du
bourreau, c’est‑à‑dire
la stratégie de sa présentation dans une synthèse parfaite, mais
inversée, avec la victime. Autrement dit, plus le contact avec le côté
oriental du monde rend la victime suspecte et perverse, plus le bourreau
paraît fascinant. Ou encore, la logiquc ct l’enjeu symbolique qui rendent
suspecte une figure de l’histoire culturellc et politique croate et, plus que
toutes, celle qui correspond aux critères nationaux (peut-être
précisément parce que tout comme dans le cas de la jeune fille juive du Portier
de nuit, la torture subie
lui permet de développer un degré superieure de connivence politique avec son
bourreau) rendent l’autre figure de cette même histoire, cette fois‑ci issue de la gauche, souhaitable et
indispensable au maintien dee sa propre substance idéologique, à
savoir la jouissance. Car dans la stratégie de son texte, notre voyeur ne
laisse pas de doute que la figure du bourreau lui est nécessaire sous la
forme que prend ce mal terrifiant et indicible dans les discours
nationalistes croates ; il ne peut être vaincu que par la force, par la
neutralisation de 1’élément étranger à cet univers, c’est‑a‑dire à travers la victime. Simultanément, pour pouvoir
s’accaparer la place de la victime — car cette place, dans le discours
géopolitique imaginaire de “l’Europe,, nous nous la sommes réservée —
ce quelque chose d’”autre” et d’étranger doit être maintenu dans toute
sa puissance, tel un fauve en cage sur lequel nous exerçons notre pouvoir. Donc, les circonstances
inhabituelles dans lesquelles la victime manipule son bourreau, où les médias politiques
sont devenus l’aràne où se produisent les fauves idéologiques
et leurs dompteurs philosophiques nationaux. Mais si, dans la
décomposition de l’ex‑Yougoslavie et de ses institutions sociales, la lutte pour le
statut de victime dans le conflit serbo‑croate
a pris une telle ampleur
que, au niveau symbolique, elle a fini par repousser au second plan la souf france réelle des hommes
ne lui réservant qu’une tome petite place, pour notre commentaire il n’y a
nul doute que seule la pure
négativité du Croate sous la figure du bourreau peut être intégrée dans
l’univers symbolique néo‑croate et non pas la figure traditionnelle de la
victime. Dans sa présentation du bourreau, notre voyeur utilise deux
séries paralèlles d’accusations. Par delà leur vérité ou leur
fausseté, celles‑ci nous paraissent révélatrices de la stratégie combinatoire de
l’auteur. La premiere des deux
séries est formulée par l’expression “agent provocateur”, c’est‑à‑dire
fonctionnaire des services secrets anti‑croates appartenant à l’ancien régime
(“yougo-serbe”). La seconde série se caractérise par des néologismes
ironiques (tels que la “bluffologie “). L’objet de l’accusation est présenté sous les espèces d’un bâtard de la politique et de la
profession, et l’objet plus spécifique de son
occupation professionnelle, la philosophie politique, comme un
amalgame tout aussi denaturé. La présentation est faite, bien entendu, selon
une stratégie qui va a rebours de l’enchaînement chronologique des événements, mais le “bourreau” et sa profession apparaissent, en revanche, sur le mode d’un total
“dévoilement”. De même, la “verité de l’être” croate apparait ici
sous sa forme inversée comme l’obligation de “tout dire”, à savoir
commc une contrainte interne au sujet à se mouler dans le discours de
la dénonciation. C’est là l’injonction intime qui pousse notre auteur,
voyeur du triangle amoureux croate, à exposer de façon exhaustive et
sans reste (à la manière de la “Unverhohlenheit” de Heidegger
dans le fameux cas Staudinger) tout ce qu’il y a à dire sur l’objet de
son discours “dévoilant” qui est — dans son
“Ursprünglichkeit”(authenticité) — une réponse a l’attente de l’opinion
publique, ou encore de l’esprit nouvellement réveillé du peuple. Cest ainsi
que — l’injonction interne de la pensée — se montre à
nouveau comme “réponse face a l’ouverture” — dévoilement”en tant que
dénonciation — et que le discours du philosophe est la tâche de
surmonter la disproportion entre la limitation et la sectorialité du monde
des individus d’une part et l’horizon illimité de “l’ouverture” d’autre part.
Cest ainsi que, vu de l’autre côté (du côté de l’autre), l’individu limité
(dût‑il s’abriter derrière “l’intellectuel de
gauche”) doit devenir infiniment public, accessible: une attraction de
l’ancienne fauverie idéologique pour le cérémonial de la nouvelle
transparence totale. Cest avec une
étonnante facilité que s’opère cette injonction terrifiante dans le
commentaire du voyeur. Nulle trace, pas même à 1’extrême
bord de son texte, de l’idee que le but de ]a présentation
alethetique-dévoilante, devrait être un thème philosophique
(comme, par exemple, la question de l’opportunité de philosophe dans les
procès politiques). An contraire, tout le texte témoigne de ce que son
auteur n’est pas le sujet du philosopher, mais le sujet d’un discours
veridique de la dénonciation, voire même le sujet d’une liquidation
idéologique et réelle. Et, bien sûr, le sujet d’une juissance
idéologique totale. Car les élements apparemment contingents de son texte
sont en fait sa substance porteuse ; ils jouent un puissant rôle mimetique en
ce qu’ils dépeignent leur objet sous sa forme la plus extrème, pour
laisser entendre ironiquement qu’ils sont en train de le manipuler. Parmi ces
moyens, on trouve, par exemple, la répétition et l’insistance sur des
citations ékaviennes,, qui dans la norme linguistique croate devrait
provoquer le même effet l’intrusion d’un corps étranger, tel un
couteau; pouis une accentuation particulière de leur contenu de la
part de l’auteur faisant appel à l’engagement émotionnel du lecteur
et, enfin, l’insertion de morceaux anecdotiques particulièrement
piquants sur la fréquentation des figures démonisées appartenant à
d’anciennes constellations politiques, ainsi que des suggestions sur les
effets profitables des services rendus à l’ancien régime, pour la
carrière de la personne en question. Il devient ainsi manifeste
que le moment qui relie les deux séries d’accusations, les professionnelles
et les politiques, est ce même élément conjonctif qui relie la notion
de vérité à celle de “dévoilement” totale et de dénonciation —
appel adressé à l’opinion publique croate, dégradée au point
d’être d’emblée sollicitée à légitimer le discours privé de la
dénonciation. Mais ce qui confère une force réelle à cette
apparente auto‑légitimité de l’orateur à travers
l’opinion publique, ce sont les moyens matériels, “poiétiques “se son
discours qui profite de la congruence des codes du discours politique
dominant, en les reproduisant lui‑même. Cette congruence est l’enjeu de la
force performative qui permet ni plus ni moins que la totale réussite du
discours privé, et ni plus ni moins que la jouissance totale de son sujet :
dans l’acte du parler‑écrire, dans l’injonction de “tout devoir dire”,
celui‑ci peut jouir du fruit de son discours —
du dévoilement — et de la totale exposition de
l’objet-à-disposition. Le destin du bourreau dans les contes est
d’apparaître dans le discours du dévoilement total comme un objet propre
à divers usages : à la manipulation arbitraire des faits, au
maintien des mythèmes nationaux, à la jouissance dans le
“bestiaire” idéologique. Par une telle intervention,
le philosophe engendre un nouvel univers symbolique parfaitement paradoxal
où, d’une part, les figures negatives croates, les “bourreaux
serbe-sommunistes”, se trouvent intégrés dans l’ordre des choses (il est
vrai, dans une cage) tandis que, d’autre part, la figure nationale favorite,
celle de la victime, est en train de vivre sa seconde mort; bien qu’utilisée
par le nouveau régime politique, elle se trouve expulsée en raison de son
rapport masochiste avec le bourreau. Ainsi, le traditionnel masochisme croate,
ce mythème fondamentale, semble, par l’intervention magique du mantra en usage chez les “nouveaux philosophes”
croates, définitivement enseveli. À un autre niveau théorique,
cependant, le sujet de la jouissance en tant que sujet philosophique,
entreprend quelque chose de plus décisif encore: par le discours veridique du
total dévoilement qui agit comme volonté interne à la dénonciation, il
fait d’un problème sectoriel (la condamnation, du caractère
idéologique, de la tradition de l’intelligentsia croate de gauche et plus
précisément de la philosophie du grupe praxis) l’enjeu d’une totale objectivation. C’est sa
méthode totalisante comme instrument de “désidéologisation”, à savoir,
de purification d’idèologies. Comme quoi la philosophie idéologisée se
transformerait, par sa médiation méthodique, d’un problème sectoriel
en horizon total du dévoilement politique où — par
l’intervention du cannibale-autophage — toute idéologie disparaît. La
pretendue désidéologisation de la philosophie correspond à la
dépolitisation de la société croate qui, transposée sur un papier calque
parfaitement transparent, devient de nouveau l’espace de l’Etat total, mais,
cette fois, nationalisé. Il apparaît ainsi, brusquement, que les moyens
“poiétiques” du discours veridique dévoilant sont conjointement les moyens
où est contenue la plus‑value rhétorique du discours ainsi que le stock
de la jouissance esthétique servant à la transformation du sectoriel
en totalité. La voie menant d’un système politique imparfait, aussi bien
socialiste que parlementaro-démocratique, vers l’unité parfaite d’une
totalité transparente de la communauté nationale, se trouve ainsi, en cas de
révolution culturelle néo‑croate, philosophiquement legitimisée. La compulsion
psychologique de dénonciation ou, encore, la pulsion ‑ cosmo‑poiétique ‑ que
nous trouvons chez les philosophes néo‑croates,
y trouve une satisfaction sublime. (Traduit du croate
par Harita Wybrands) |
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